Comment créer le tissu agricole et économique pour faire passer une cantine en bio et en faire un levier de développement d’une politique alimentaire locale ?
Genèse de l’alternative
Nourrie par des prises de conscience des enjeux santé/environnement et suite à la crise de la « vache folle », la ville de Mouans-Sartoux s’est très tôt penchée sur les questions du lien entre alimentation, santé et environnement. Elle mène sur le sujet une politique volontariste depuis plusieurs mandats. Elle a ainsi commencé dès 1999 à introduire des produits biologiques dans les cantines, avec le choix d’une restauration en régie municipale. Le bio a pris de plus en plus de place, avec une augmentation progressive par gamme de produits: de 23% en 2009, 73% en 2011, jusqu’à atteindre 100% en 2012. En 2010, une régie agricole municipale a été créée, produisant à ce jour 85 % des légumes consommés dans les cantines, et enfin, la Maison d’Éducation à l’Alimentation Durable a vu le jour en octobre 2016.
Volume géré
10 000 habitants à Mouans Sartoux1 000 élèves dont 96 % de demi-pensionnaires152 000 repas par an, soit 1 200 repas par jour, tous publics confondus (écoles, crèches et personnel communal), composés pour 70% en volume de denrées d’origine locale (PACA et région du Piémont). Plus de 24 tonnes de légumes bio produits par an par la régie agricole (85% d’autonomie en légumes pour alimenter les cantines).
Moyens affectés
– Un terrain communal de 6 hectares (régie agricole) équipé de matériel agricole dont la production est gérée par 3 (équivalents temps plein) agents municipaux
– 3 cuisines intégrées aux 3 groupes scolaires, 21 agents dans le service restauration, une camionnette permettant la livraison quotidienne des légumes
– Des animateurs pour accompagner les enfants lors du temps du repas (1 animateur pour 10 enfants en maternelle, 1 pour 14 en élémentaire).
Description des paramètres économiques et financiers
Budget restauration 2016 (comprenant les frais de personnel) :1,2 M € pour 143 500 repas, dont budget alimentation : 240 000 €
Repas:
Prix de revient d’un repas tout compris : 8,39 €
Participation des familles en fonction du QF : de 2 € à 6,6 € (prix moyen 3,13 €).
A noter que le passage des cantines en bio n’a pas fait augmenter les impôts locaux ! Coût des denrées d’un repas 100 % bio en 2017 : 2,01 €.
Gaspillage:
Entre 2011 et 2015, réduction de 80 % des restes alimentaires (de 147 g à 32 g en 2015 par assiette). Par exemple, les grammages ne suivent pas les recommandations officielles mais les quantités réellement consommées. Cette action a permis de dégager une économie de 0,20 € par repas, réinvestie dans le bio, compensant ainsi le passage au 100 % bio.
Renouvellement des marchés publics:
– Révision des critères d’attribution pour privilégier les producteurs locaux: 40 % pour la qualité, 30 % pour le respect de l’environnement et 30 % pour les tarifs
– Allotissement dans les appels d’offre en fonction des denrées pouvant être produites localement : le marché alimentaire est ainsi passé de 8 à 25 lots
Création d’un tissu économique local:
– Politique de soutien à l’installation agricole: plan d’action d’aide à l’installation (projet européen AGRI-URBAN)
– Porteurs de projet régulièrement reçus par la mairie afin d’étudier les possibilités d’installation sur Mouans-Sartoux. Installation d’un maraîcher bio et d’un producteur de plantes à parfum.
– Aide financière de la ville pour l’installation agricole (gestion économe de l’eau)
– Création d’un atlas du foncier agricole et réhabilitation de friches pour permettre la mise à disposition de terres agricoles à de nouveaux agriculteurs
– Installation d’une association d’insertion en agriculture biologique rattachée au Réseau Cocagne
– Forte demande en produits bio locaux: création d’une épicerie bio, locale et sans emballages, magasin de producteur, Maison du Commerce Équitable, deux marchés, une AMAP
– Développement d’une gamme de pains bio par la boulangerie du village, suite à son engagement avec les cantines
Partenaires financiers par le biais de financement de projets:
État (Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt PACA – via le PNA, labellisation PAT), ADEME, Conseil Régional PACA (pour l’Observatoire), Fondation Carasso (pour la Maison d’éducation à l’alimentation durable), Union Européenne FEDER – programme URBACT (AGRI-URBAN, BioCanteens).
Description des paramètres réglementaires
Depuis près de 40 ans, la maîtrise du foncier est une préoccupation constante de l’action municipale. Ainsi, la commune est propriétaire de près de 200 hectares d’espaces naturels, forestiers et agricoles, certains acquis à l’amiable ou en usant du droit de préemption.En 2012, la ville a adopté un nouveau plan local d’urbanisme et est passée de 40 à 112 hectares classés en zone agricole. Un pari osé entre Cannes et Grasse où le foncier est très convoité ! Depuis, la municipalité a évalué son potentiel agricole à 13 zones susceptibles d’accueillir des agriculteurs.
L’Agenda 21 et le PLU précisent que les espaces agricoles et naturels existants seront préservés de toute extension urbaine et confortés par une augmentation des espaces agricoles ou zones A. A noter qu’un Projet Alimentaire Territorial, labellisé par le Ministère de l’Agriculture (voir 6, 2016 MEAD) a été construit en articulation avec l’Agenda 21 local de la commune, le PLU et le PEL (projet éducatif local).
Gouvernance
Acteurs mobilisés:Personnel municipal des services Enfance (MEAD, Restauration, Animation, Jeunesse), Urbanisme, Espaces verts, CultureActeurs du territoire, dont Professionnels d’Agribio Alpes Maritimes, de la Chambre d’Agriculture départementale, service agriculture de la CAPG, CFPPA d’Antibes, DDTM, ADEARAutres partenaires : Association Un Plus Bio (Club des Territoires Français et Européen), Pacte de Milan, OFSP – Organic Food System Program, Programmes européens « Urbact Agri-Urban », URBACT BioCanteens, l’INRA d’Avignon, Skema Business School, ImmaTerra, l’UCA, Universitaires
Gouvernance de l’action : L’équipe de la MEAD coordonne le Projet Alimentaire de la commune. Le comité de pilotage regroupe des acteurs internes à la mairie (élus, techniciens) ainsi que des associations spécialisées, scientifiques et chercheurs, experts,… pour évaluer le projet, le faire avancer et orienter les actions.
Par ailleurs, l’Observatoire de la restauration durable dresse des bilans d’étape en faisant la lumière sur ce qui fonctionne et sur les éventuels freins. Il constitue un instrument de prospective au service des futurs changements et offre des arguments à d’autres collectivités pour franchir le pas. Depuis 2013, l’Observatoire se réunit deux fois par an. Il a permis d’évaluer les comportements alimentaires des familles : évolution vers des habitudes alimentaires plus saines et plus durables, adoption de bonnes pratiques encouragées dans les cantines (moins de gaspillage, moins de sucre, plus de produits locaux et bio) pour 85 % des familles (enquête 2016).
Temporalités du montage
-1999 : 4 % de bio : le bœuf (crise de la vache folle). Choix d’une restauration en régie municipale, une cuisine par école
-2005 : révision des menus pour intégrer la saisonnalité, Ville active PNNS
-2008 : étude de faisabilité pour créer une régie agricole. Début de l’opération “un fruit à la récré” dans les écoles -2010 : démarrage des cultures expérimentales à la régie agricole municipale. Certification Ecocert
-2010 : mise en place d’une politique de réduction des déchets alimentaires. Résultats rapides : réduction de 80 % du gaspillage alimentaire en 5 ans.
-2011 : embauche de l’agriculteur sous contrat municipal.
-2012 : triplement des surfaces agricoles dans le PLU, déclassement de zones constructibles pour implanter des solutions de développement agricole.
-2012 : création de l’Observatoire de la restauration durable
-2014 : instauration d’une aide financière à l’installation d’agriculteurs bio
-2016: démarrage d’une expérience de conservation des légumes à la régie agricole en vue d’atteindre l’autonomie en légumes pour fournir les cantines
-2016 : création de la Maison d’Éducation à l’Alimentation Durable (www.mead-mouans-sartoux.fr). La MEAD porte le projet alimentaire territorial de MS avec cinq axes d’action : aide à l’installation agricole, laboratoire de transformation alimentaire, sensibilisation et éducation à l’alimentation durable, recherche-action, communication et partage du projet
-2017 : lancement du diplôme universitaire « chef de projet alimentation durable» en collaboration avec l’UCA. Cette formation, destinée principalement aux élus et agents des collectivités territoriales, a pour objectif l’émergence de projets d’alimentation durable à l’échelle du territoire
-2018 : chef de file du projet européen URBACT BioCanteens
Description des paramètres humains et prospective de développement
Le facteur humain a été primordial dans la réussite du projet à différents niveaux : prise de conscience des élus, implication et motivation du personnel municipal, appropriation par les habitants, sensibilisation et implication des familles avec un volet pédagogique qui a démarré très tôt dans les écoles:
– accompagnement pédagogique du repas des enfants par des animateurs
– ateliers autour de la nutrition et ateliers cuisine animés par les chefs des cuisines organisés durant les temps périscolaires
– tri des déchets par les élèves, pesée quotidienne des poubelles, petites, moyennes et grandes portions proposées aux enfants qui se servent en fonction de leur appétit (et peuvent revenir se servir s’ils le désirent !)
– jardins pédagogiques dans chaque école et sur le domaine de Haute-Combe
La MEAD développe sa vocation pédagogique. Visites des petits (écoliers), des grands (élus, techniciens de collectivités, agents territoriaux), ateliers cuisine et nutrition, découverte de l’agronomie appliquée… Elle s’ouvre également à d’autres publics : parents, bénéficiaires de l’épicerie sociale, seniors et acteurs économiques (restaurants, hôtels, commerces alimentaires, métiers de bouche, entreprises…). En 2017, le défi « Familles à alimentation positive » a été créé pour engager les habitants de Mouans-Sartoux dans l’évolution de leurs pratiques alimentaires.
Les perspectives de développement sont les suivantes:
– Favoriser les installations agricoles: Installation de 2 à 5 agriculteurs sur les zones agricoles communales et privées libérées par le PLU.
– Transformer et conserver les légumes: Pérennisation de l’expérimentation en cours par la création d’un atelier de transformation (surgélation, stérilisation, pasteurisation) à disposition de la régie agricole et des agriculteurs locaux pour stabiliser leur modèle économique.
Objectif : atteindre 100% d’autonomie en légumes pour les cantines.
– Au niveau des cantines: Veiller lors de chaque renouvellement de marché d’identifier les producteurs locaux potentiels, poursuivre les formations du personnel de restauration
– Sensibiliser à l’alimentation durable, permettre l’essaimage de projets alimentaires, soutenir les projets de recherche nationaux et internationaux
Et enfin les facteurs clés de réussite :
– Construire une vision ambitieuse du projet alimentaire du territoire en restant à l’écoute ce que nous disent les scientifiques
– Fédérer des acteurs différents (élus, agents municipaux, habitants, parents d’élèves) pour identifier des objectifs communs et surmonter les divergences
– Bénéficier d’une forte volonté politique qui s’inscrive dans la durée
– Mettre en place un système de gouvernance garantissant la pérennité du projet et le portage d’une vision globale, construire une vision de la politique alimentaire de la ville et de la souveraineté alimentaire de son territoire ;
– Identifier en amont les sources d’information, d’appui technique et de financement ;avancer pas à pas en actionnant tous les leviers, y compris les plus difficiles comme l’urbanisme.
Site http://restauration-bio-durable-mouans-sartoux.fr/