La transition alimentaire et écologique passera par la préservation et l’optimisation du sol, ce réservoir unique de vie, sous-estimé et malmené

Justine Lipuma (Ingénieur biologiste, PhD, CEO MYCOPHYTO)

De grands défis sont à réaliser au cours de ce siècle. Il faut mettre en place une transition agricole et alimentaire afin d’assurer un approvisionnement en denrées alimentaires pour 9,6 milliards d’êtres humains d’ici 2050. Cet enjeu implique de produire plus et mieux sans possibilité d’augmenter les surfaces agricoles. Cette évolution doit se réaliser dans un contexte de transition environnementale intégrant la réduction de l’utilisation de substances chimiques (engrais, pesticides…) de 50%. Et enfin, nous devons le faire dans un contexte de changement climatique global et de pénurie de ressources naturelles. L’agriculture est effectivement soumise au changement global, climatique en particulier, qui conduit à une irrégularité des rendements dès à présent et qui entraîne les filières agricoles dans des situations critiques.

Il y a donc une urgence à mettre en place de façon rapide une véritable transition dans ce domaine avec tous les acteurs de cet écosystème. Pour cela, il est important de sensibiliser/former les consommateurs à de nouveaux modes de consommations ainsi que les professionnels à de nouveaux itinéraires de culture. Une des clefs réside sur une meilleure compréhension et utilisation des organismes présents dans le sol : le sol est avec les océans, le compartiment terrestre renfermant le plus de vie sur terre.

Le sol : un constat alarmant et une prise de conscience sur le potentiel de la vie microbienne des sols

Le sol est, outre le support physique d’une culture, un réservoir microbien dont les diversités et fonctionnalités vont conditionner l’état sanitaire des plantes cultivées. Les communautés microbiennes telluriques, qui jouent un rôle primordial dans les cycles biogéochimiques du carbone, de l’azote et d’autres éléments, exercent également des effets bénéfiques sur les plantes par le biais d’interactions symbiotiques. Rares sont les micro-organismes pathogènes. En revanche, nombre d’entre eux favorisent la croissance des végétaux, assurent la dégradation de polluants, et fournissent des composés d’intérêt tels des enzymes, des antibiotiques ou d’autres molécules (antiviraux, antitumoraux). Le sol représente le plus grand réservoir de carbone contenant environ deux fois le stock de carbone atmosphérique et trois fois le stock de carbone contenu dans la végétation (40 tonnes par hectare (t/ha) en sols cultivés et 65 t/ha sous prairies). Une augmentation des stocks de carbone organique des sols cultivés peut jouer un rôle significatif dans la limitation des émissions nettes de gaz à effet de serre vers l’atmosphère en stockant du CO 2 atmosphérique dans la matière organique (M.O.) des sols. Cette action est réalisée par les organismes vivants présents dans le sol (Figure 1).

Figure 1 : Décomposition de la matière organique par les organismes vivants du sol

Il existe un continuum microbien du sol aux parties aériennes et il est connu que le microbiome de la plante est influencé par celui du sol. L’holobionte correspond à l’ensemble des micro-organismes avec lesquels la plante interagit et établit un dialogue. Il peut être modifié suite à l’attaque d’un agent pathogène, mais il peut aussi influencer la réponse à cette attaque (par des mécanismes de bio-protection). La biodiversité présente dans le sol est un réservoir sous-évalué encore aujourd’hui. Dans 1g de sol de forêt, on trouve en moyenne 109 micro-organismes contre 103 dans 1g de sol cultivé. 1 hectare de sol forestier compte plus d’organismes vivants que d’êtres humains sur Terre !  Les techniques agricoles d’après-guerre (intensification des cultures, monoculture…) ont considérablement réduit cette réserve biologique.

Un sol de prairie renferme une biomasse constituée à 70% de micro-organismes : dont 39% de bactéries et actinomycètes (microflore), 28% de champignons et algues (microflore) et à 5% de protozoaires et nématodes (microfaune). Cette biomasse se compose également de 22% de vers de terre, tandis que les autres animaux réunis (macrofaune et mésofaune) ne représentent que 6% des organismes vivants du sol. La biodiversité est encore un vaste terrain inconnu pour les chercheurs. Aujourd’hui, environ 1,7 million d’espèces ont été décrites sur Terre (G. Lecointre et H. Le Guyader, 2006), dont 21% (360000 espèces) sont des animaux du sol (sans compter la microflore).

Les sols sont soumis à des pressions multiples (urbanisation, désertification, érosion) associées en grande partie aux activités humaines. La biodiversité des sols est la première menacée par ces pressions car elle n’a souvent pas le temps de s’adapter à son nouvel environnement. Par ailleurs, les ressources utilisées en agriculture intensive vont, soit diminuer (énergie fossile, phosphates d’origine minière), soit suivront des régimes très irréguliers du fait du changement global (eau) ce qui implique la réflexion et la mise en place de systèmes de productions moins dépendant de ces ressources. A ce jour, de nombreuses méthodes intégrées dans les systèmes agricoles intensifs sont néfastes pour le sol. Par exemple, les labours ou la mise en culture de prairies altèrent la diversité des champignons et l’abondance des vers de terre. Les amendements organiques, la limitation de l’usage des pesticides et du travail mécanique peuvent atténuer cette perte. Le mélange d’essences forestières en sylviculture, les amendements organiques, les rotations et les intercultures améliorent l’abondance microbienne des sols.

D’une façon générale, la gestion actuelle des sols n’apparait pas durable au regard de ce bilan. Ce constat a d’ailleurs conduit la Commission Européenne à développer une stratégie de gestion durable des sols et la FAO a récemment publié un rapport sur l’état des sols (FAO & ITPS, 2015) (Figure 2). La commission européenne a publié en 2010 une brochure bien conçue et toujours d’actualité sur l’importance de la biodiversité du sol « L’usine de la vie : pourquoi la biodiversité des sols est-elle si importante ? ».

Figure 2 : Campagne de la FAO – 2015 l’année international des sols

La gestion durable des sols vise à préserver un patrimoine essentiel pour l’Humanité́ qui n’est pas renouvelable à notre échelle de temps. Cette gestion est au cœur des systèmes agroécologiques qui visent à mieux valoriser la biodiversité et les interactions biotiques afin de réduire l’utilisation d’intrants de synthèse et ainsi préserver les ressources (eau, sol, biodiversité). Des innovations portées par des laboratoires de recherches ainsi que des jeunes pousses sont en place pour permettre la mise en place de parcelles tests intégrant des modes de productions plus respectueux de l’environnement mais également plus productifs. Une augmentation ainsi qu’une gestion de la biodiversité naturelle des sols sont une des clefs majeures pour la réussite d’une transition agricole.

Références :

Ouvrages :

G. Lecointre et H. Le Guyader, 2006, Classification phylogénétique du vivant .

J.-M. Gobat, M. Aragno et W. Matthey, 1998, Le sol vivant . Editions Presses Polytechniques et Universitaires Romandes (PPUR)

Articles :

M. Frac et al., 2018, Fungal Biodiversity and Their Role in Soil Health, Front Microbiol. 2018; 9: 707.

C. Wagg et al., 2014, Soil biodiversity and soil community composition determine ecosystem multifunctionality, Proc Natl Acad Sci U S A. 2014 Apr 8; 111(14): 5266–5270

Sites internet :

http://ec.europa.eu/environment/soil/three_en.htm

http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/272/1122/biodiversite-sols.html

http://www.gessol.fr/ (GESSOL « Fonctions environnementales et GEStion du patrimoine SOL ») Rubrique > Dossiers thématiques > Biodiversité: La vie cachée des sols

http://moodle-ensat.inp-toulouse.fr/pluginfile.php/13612/mod_resource/content/1/DNO_2014_EvaSchreck.pdf

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