Transition écologique, citoyenne et inclusive : le défi du logement précaire

Patricia Roques, Docteure en Sciences de gestion, enseignante-chercheure au GREDEG-CNRS (Sophia Antipolis) et à l’IUT Nice-Côte d’Azur

Résumé

12 millions de personnes en France vivent en situation de précarité énergétique : à la fois cause et conséquence de logement défaillant et de ses impacts sociaux et sanitaires, ce phénomène interpelle la Transition écologique (et citoyenne). Avec ses moyens d’intervention mais aussi des normes plus exigeantes donc plus onéreuses, des contraintes pour protéger l’environnement, une énergie plus chère, la Transition Écologique peut-elle être socialement profitable et accessible à tous ?

Transition écologique, citoyenne et inclusive : le défi du « mal logement »

La transition écologique inclut évidemment la transition énergétique. Et le logement : le secteur du résidentiel est responsable de 30 % de la consommation finale d’énergie et de 17 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais pour les individus, l’énergie est un bien de première nécessité pour la satisfaction de leurs besoins élémentaires, et donc une dépense contrainte. Face à des exigences et des coûts croissants, comment faire que la transition n’exclue pas et, au contraire, contribue à la lutte contre la précarité ? « Si nous devions mettre en exergue un enseignement majeur de ce débat public [sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)], sans doute serait-il l’exigence de justice sociale », souligne ainsi Chantal Jouanno1.

Comment caractériser la ‘précarité énergétique’ ?

Selon la loi « Grenelle 2 » du 10 juillet 2010, « Est en situation de précarité énergétique […] une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».

Pour apprécier la précarité énergétique liée au logement, l’ONPE2 retient trois indicateurs

  • le « taux d’effort énergétique » (TEE) : plus de 10% de son revenu aux dépenses énergétiques, trois premiers déciles de revenus : 2,8 millions de ménages concernés.
  • l’indicateur « bas revenus, dépenses élevées » (BRDE) : revenus sous seuil de pauvreté, dépenses énergétiques, rapportées à la taille du logement et à la composition familiale, supérieures à la médiane nationale. 2,3 millions de ménages concernés.
  • le ressenti de l’inconfort, avec un indicateur du froid. 1,6 million de ménages concernés. 1 million de ménages cumulent situation d’inconfort thermique (indicateur de froid) et vulnérabilité économique(TEE, BRDE). 5,6 millions de ménages (12 millions d’individus, 1 personne sur 5) sont en situation de précarité énergétique pour au moins un indicateur. Au niveau international, plusieurs travaux mettent en évidence la pertinence d’un indicateur composite incluant notamment l’état du logement. Certains auteurs (Meyer et al., 2016) distinguent également pauvreté énergétique mesurée, cachée et perçue.

Les incidences de la précarité

Les ménages en précarité dépensent près de 25% de plus que la moyenne pour l’énergie dans le logement et plus du tiers des ménages déclarent restreindre le chauffage chez eux. Et les conséquences vont bien au-delà de ces seuls aspects financiers. Figure 1 : Les conséquences de la précarité énergétique

Sources : ONPE et Fondation Abbé Pierre]

Si, en France, 14,6% des ménages sont considérés en situation de vulnérabilité énergétique pour leur logement, ce taux est de 5,5 % en région Provence-Alpes-Côte d’Azur3. Cet écart est, à l’évidence, d’abord lié au climat et au moindre besoin de chauffage. La vulnérabilité énergétique est donc plus faible, par contre le taux de pauvreté est plus élevé: 15,8% de la population des Alpes Maritimes est en dessous du seuil de pauvreté (17.4% pour la région) contre 14.9% en moyenne nationale. La précarité associée au logement est aggravée par le coût du logement et la faiblesse relative du parc locatif de logements sociaux : 10,1% des résidences principales contre 16,8 % au niveau national4. En outre, ces indicateurs ne rendent pas compte de l’inconfort d’été et de la surchauffe des logements, avec leurs conséquences spécifiques. (Pour une compréhension générale du ‘mal-logement’ : Fondation Abbé Pierre, 2017, p.12-24).

Réhabiliter pour lutter contre la précarité

Les fournisseurs d’énergie effectuent 600.000 interventions par an (réduction de puissance, suspension de fourniture, résiliation de contrat) suite aux impayés. Des mesures d’urgence peuvent permettre de faire face et une tarification sociale de l’énergie, maintenant remplacée par le « chèque énergie » réduit les coûts. Mais si elles sont indispensables, elles ne modifient pas fondamentalement la situation des individus.

La France compte 7,5 millions de « passoires énergétiques », c’est à dire des logements d’un niveau de performance énergétique F ou G : 2,6 millions d’entre eux sont occupés par des ménages en ‘précarité énergétique’, soit près de la moitié de cette population. La réhabilitation de ces logements est donc une priorité à la fois énergétique et sociale.

La figure ci-dessous présente les principaux dispositifs d’aide à la rénovation énergétique des logements pour améliorer l’efficacité énergétique, réduisant ainsi la facture énergétique, apportant du confort à l’usage et contribuant à la maintenance ou à la requalification du patrimoine bâti.

Figure 2 : Principales aides à la rénovation et construction d’un montage financier

Note : Les dispositifs en pointillés sont soumis à des conditions de ressources. [Sources : ADEME, Aides Financières 2018 ; ANAH]

Le « montage » est à la charge du maitre d’ouvrage, mais le recours à une « société de tiers financement » peut constituer une alternative encore émergente : généralement société d’économie mixte, elle assure le montage financier (mobilise aides et prêts), réalise les travaux et se rembourse grâce aux économies d’énergie obtenues. La SEM Energie Posit’IF (en Ile de France), par exemple, intervient pour les copropriétés. Il existe en outre diverses aides ou sources de financement à caractère local (régional, départemental et/ou local) voire privé (Fondations). Des programmes de réhabilitation pour l’habitat ‘très social’ sont mis en œuvre par des organismes telle la Fondation Abbé Pierre.

Son programme « Toits d’abord » a ainsi permis de réhabiliter plus de 1000 logements par an sur la période 2016-2017 pour atteindre des performances de classe A, B ou C à partir de logements de classe E, F ou G. Évaluation : constats et préconisations Les dispositifs existent et sont nombreux.

Mais, à l’exception (partielle) du programme « Habiter mieux » de l’ANAH, leur évaluation (Cour des Comptes, 2016, p.56-68 ; Fondation Abbé Pierre, 2017, p.137-144) met en évidence une accessibilité défectueuse (complexité, nombre, règles propres, procédures) et une efficacité limitée, de surcroît non mesurée en termes énergétiques. Plutôt que d’inventer de nouveaux dispositifs, il s’agit donc de rendre opérationnel l’existant, c’est-à-dire de simplifier, de globaliser en adaptant au contexte territorial et de statut, sortir de l‘incertain, et affecter les financements nécessaires. Méconnaissance, incompréhension ou suspicion, incertitude voire doute sur les gains : les raisons de l’inaction sont multiples (voir, par exemple, Roques, 2016, p.128-137). Alors que si l’efficacité est au rendez-vous, la transition énergétique est économiquement (et socialement) ‘rentable’ sous condition, comme le montrent les retours d’expérience et les évaluations techniques (Sidler, 2012, p. 10-12), de vision globale et d’ambition auxquelles n’incite pas la dispersion des aides. La préconisation est alors de concentrer les aides sur les travaux s’inscrivant dans un objectif contractualisé (‘Contrat de Performance Énergétique’), de viser un niveau BBC Rénovation assorti d’une évaluation post-travaux.

Figure 3 : Préconisation pour chaque étape clé du processus de rénovation

Pour conclure

La loi « Transition énergétique pour la croissance verte » de 2015 a fixé l’objectif de rénover 500.000 logements par an pour majorité occupés par des ménages aux revenus modestes, visant ainsi une baisse de 15 % de la précarité énergétique d’ici 2020. En réalité, au rythme actuel, la précarité énergétique n’aura baissé que de 6 %…

Encore le décompte du nombre d’opérations et l’engagement de fonds publics ne suffisent-ils pas : il faut gagner réellement en efficacité. Diagnostic, tierce intervention, accompagnement et évaluation ont un coût, mais aussi une efficacité propre porteuse de valeur ajoutée.

Il est en outre essentiel d’inclure aussi les occupants : la réalité de la performance énergétique sera ensuite entre leurs mains. L’ARA (Auto Rénovation Accompagnée), outre son intérêt financier, peut en être un vecteur et l’inclusion des usagers peut même être également recherchée dès le processus de conception (Roques, Lazaric, 2018).

La précarité énergétique apparait comme conséquence et révélateur de précarité sociale. Mais également, on l’a vu, elle est cause de cette précarité sociale par le mal-logement. Elle apparait alors indissociable des questions de mobilité et, conjointement, de l’inscription du logement dans l’espace et l’urbanisme.

Références

ADEME (2018), Aides financières pour des travaux de rénovation énergétique de logements existants , 21p. ANAH (2015), Évaluation du Programme “Habiter Mieux” Etude 1 : Synthèse de l’enquête auprès des propriétaires occupants, N° 1 , janvier 2015

CGDD (2015), La rénovation thermique des logements : quels enjeux, quelles solutions ? , La Revue du CGDD, janvier 2015, 150 p. Cour des Comptes (2016), Les résultats modestes de l’incitation à la rénovation des logements, L’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable p.56-68 Fondation Abbé Pierre (2017), Résorber les passoires thermiques en une génération, 22e rapport sur l’État du mal-logement en France 2017, p.137-151

Meyer S., Holzemer L, Nyssens T., Maréchal K. (2016), Things are not always what it is measured: On the importance of adequately assessing energy poverty, CEB, Working paper N° 16/025, June 2016 Roques P. (2016), La question de la consommation d’énergie dans les logements sociaux réhabilités, Pratiques et identité, Thèse, Université Côte d’Azur, juin 2016

Roques P., Lazaric N. (2018), Involving users in retrofit innovation systems: lessons from a French social housing programme, Technological Forecasting & Social Change (under review) Sidler O. (2012), La rénovation thermique des bâtiments en France – Enjeux et stratégie, Enertech, 47 p.

  • Présidente de la Commission nationale du débat public. Déclaration lors de la publication du compte rendu du débat public sur la PPE (31 août 2018).
  • Source : ONPE (Observatoire National de la Précarité énergétique)
  • Source : DROS PACA (Dispositif Régional d’Observation Sociale)
  • Source: INSEE pour les données relatives à la population, aux revenus, au logement. Notamment : Enquête nationale Logement 2013 (dernières données disponibles)

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