La transformation de Piste d’Azur en SCIC ne fut pas chose aisée et évidente. Elle est née d’une volonté idéologique, de mettre la réalité en conformité avec la coquille juridique. Dans de nombreuses associations, du moins celles qui salarient du personnel, la réalité du pouvoir n’est pas là où elle devrait. Le poids des salarié-e-s est souvent plus important que celui que leur confèrent les statuts.
C’est, entre autre, cette équivoque que nous avons voulu faire disparaître.
Le passage de l’association à la SCIC
Si la forme première de notre structure juridique était l’association, nous savions que ce n’était pas l’outil idéal pour nous. Nous avons créé cette association dans l’urgence, et parce que c’était l’outil que nous connaissions le mieux. Mais nous savions que tôt ou tard, nous changerions de statuts.
Mais vers quels statuts ?
L’association fonctionnait bien, mais les salarié-e-s, à l’origine du projet et les seul-e-s à maîtriser ce projet, n’avait aucun pouvoir de décision.
Nous avons alors pensé nous diriger vers une SCOP qui permettait aux salarié-e-s de contrôler l’entreprise.
Mais cette solution avait un inconvénient important à nos yeux : elle nous privait de la présence et de l’apport des bénéficiaires des activités. Or, ils avaient pris une part très importante dans la construction du projet. Etait-il juste de leur retirer tout pouvoir de décision ?
Par ailleurs, les bénéficiaires, par leur engagement bénévole quasi quotidien au sein de Piste d’Azur représentaient un apport en force de travail non négligeable. Comment et pourquoi se priver de cet apport ?
Piste d’Azur s’est créé sur la base d’un projet culturel, mais aussi sur une volonté d’insertion territorial fort. Il n’aurait pas été possible d’installer ce projet ailleurs que sur le territoire du Pays de Grasse. Cette implantation est aussi concrétisée par un financement issu des collectivités, (axé essentiellement sur la formation professionnelle pour le fonctionnement). La question s’est donc très vite posée de la place de la communauté d’agglomération dans cette nouvelle structure.
La réflexion, les recherches ont duré plusieurs années. Nous avons été accompagnés par un DLA. Nous avons très vite travaillé avec l’URSCOP Paca.
Au bout du compte, la création d’une SCIC nous a paru la solution idéale:
- Parce qu’elle permet au salarié-e-s, grâce à un système de collèges, d’avoir une part substantielle des votes lors des assemblées générales (à PdA, 37,5%).
- Parce qu’elle permet aux bénéficiaires d’être très présent-e-s dans les instances décisionnaires, et de continuer leur soutien bénévole si besoin.
- Parce que les partenaires institutionnels sont aussi présents.
- Parce que des partenaires extérieurs peuvent être associés au projet et dans les instances.
- Parce que les valeurs de l’économie sociale et des coopératives sont bien présentes (un adhérent – une voix, impartageabilité des résultats…
Donc, la SCIC s’est avérée être la bonne solution !
Un parcours d’obstacles
Une fois le choix de la structure juridique effectuée, il restait à mobiliser les acteurs et actrices potentiels-les du projet.
La méconnaissance du statuts coopératif, et plus encore de la SCIC, a été une difficulté énorme pour nous. Toutes les réunions d’information que nous avons faites tournaient toujours autour de : qu’est ce c’est qu’une SCIC ? Et quels avantages pour nous ?
La proposition de l’équipe à l’origine du projet, était de construire une SCIC avec un nombre plus réduit de sociétaires, mais des gens plus investis (dans l’association, il y avait 400 adhérent-e-s, dont 350 ne participant à rien). Nous avons donc proposé une part sociale à 150€, montant relativement élevé. Pour les bénéficiaires, une part suffit pour être sociétaire. Pour les salarié-e-s, il faut au moins deux parts (10 parts pour les collectivités). Ces montants élevés s’expliquent aussi par la recherche d’un capital qui nous a fait cruellement défaut dans l’association.
Pour les salarié-e-s, nous avons vu qu’il existait des aides pour participer au sociétariat.
Sans surprises, les salarié-e-s ont souscrit de manière importante.
La collectivité l’a fait aussi, après de longues discussions.
Il y a aujourd’hui, une quarantaine de bénéficiaires sociétaires.
Ce qui amène le nombre de sociétaires à une cinquantaine, répartis en six catégories.
Mais nous avons pu voir que si les salarié-e-s et bénéficiaires de PdA ne connaissaient pas les SCIC, ils et elles ne sont pas les seul-e-s. La déclaration de transformation au tribunal de commerce s’est révélée ubuesque : personne ne savait ce qu’était une SCIC, personne ne savait qu’on pouvait transformé une association en société, etc.
Mais après maints rendez-vous, maints recommandés, la SCIC Piste d’Azur a officiellement vu le jour !!!
Et maintenant ?
La SCIC fonctionne depuis 18 mois et le projet culturel continue de bien avancer. C’est donc déjà une preuve que cette idée n’était pas dangereuse pour PdA.
Le premier choc à absorber a été fiscal. Le changement de statut a provoqué une fiscalisation quasi totale de nos activités. Cette difficulté financière (prévue et anticipée) a été facilité par le départ à la retraite du salarié au plus haut salaire !!!
La question ensuite, était de savoir comment la volonté idéologique du contrôle de l’entreprise par les salarié-e-s, sans oublier les bénéficiaires et les différents partenaires, allait pouvoir se mettre en place.
Sur la vingtaine de salarié-e-s, plus de 60 % sont devenu-e-s sociétaires. Les salarié-e-s non sociétaires ne voient pas de changement notable. Le conseil d’administration et l’assemblée générale continuent de prendre les décisions, mises en œuvre par l’équipe permanente.
Pour les salarié-e-s sociétaires, ils ou elles ont la possibilité de participer à cette prise de décision. Cela leur impose des réunions supplémentaires. Ces réunions ont lieu en collège de vote, pour préparer les réunions d’instance. Elles ont aussi lieu lors des moments officiels. Globalement, ces personnes ont une impression de meilleure suivi de leur entreprise.
Les bénéficiaires sociétaires sont restés très investis. Dans les lieux de décision, mais aussi dans un travail bénévole. Le changement de structure juridique les a soulagé du poids énorme de la responsabilité de l’entreprise, sans en avoir les totales compétences.
Mais 18 mois, c’est encore tôt pour faire un vrai bilan. Il faudra encore quelques années pour vraiment mesurer l’effet du passage en SCIC.
La conférence de Patrick Fodella aux assises de la Transition Écologique et Citoyenne Alpes Maritimes Alpes du Sud 2018.