Analyse de la Transition écologique au Port de Nice, la pollution aérienne comme enjeu : progrès et stagnation

Daniel Moatti (Chercheur associé au SIC. Lab Méditerranée, Docteur Habilité à Diriger les Recherches, membre de la Commission Locale de Proximité et de l’Environnement du port de Nice, Conseiller scientifique du FNE PACA, Président de l’ANQAEV)

Introduction – L’expertise-citoyenne

Deux ans d’un travail intense de collecte d’informations, puis de réalisation de dossiers documentaires, seront présenté enfin de sensibiliser et d’alerter les élus à tous les niveaux, des acteurs économiques et institutionnels du secteur maritime. En juin 2016, la compagnie Moby Lines ouvrait à Nice une liaison maritime quotidienne par ferries avec le port de Bastia entrant directement en concurrence avec la Corsica/Sardinia Ferries possédant jusqu’alors le monopole des liaisons entre Nice et la Corse depuis l’effondrement de la SNCM (Société nationale maritime Corse-Méditerranée). Les navires de la Moby Lines, le « Corse » et le « Zazà », possédant de très hautes cheminées, les volutes de fumées rabattues par le vent atteignaient d’autres quartiers que celui du port, dont celui proche de la gare Riquier, durant l’été 2016, jusqu’à l’incendie du Zazà dans la nuit du 13 au 14 août. Subir les mois de juin, juillet et août fenêtres fermées à Nice est une expérience traumatisante, vécue par des dizaines de milliers de riverains des ports méditerranéens français.  La création d’associations de défense de l’environnement et de riverains excédés ainsi que l’émergence d’une expertise citoyenne découlent directement de la situation conflictuelle ainsi créée.

Un site remarquable et protégé

La protection du port de Nice s’inscrit dans celle du patrimoine. C’est un espace remarquable situé près de la place Garibaldi et au pied de la place de l’île de Beauté construites au XIXe par les architectes de la famille de Savoie et inscrites aux monuments historiques. De même les collines vertes du Château à l’ouest et celle de Mont Boron à l’est avec le fort Alban participent à la singularité et la beauté du site. La grande digue du port protégeant de la houle du large est, elle-même, inscrite aux monuments historiques.

Or, les navires manoeuvrant et stationnant dans le port de Nice entrent dans un espace restreint situé à l’est de la ville. En raison du climat, de la géographie et des vents, les fumées en provenance de leurs hautes cheminées tendent à stagner ou à se déployer sur plusieurs quartiers de la ville, en particulier ceux du port et du Mont Boron.

Des carburants marins très polluants ayant des conséquences sur la santé publique

En Méditerranée, les navires utilisent des carburants très polluants. Les bateaux de commerce naviguent au fioul lourd à 3,5% de teneur en soufre, soit 3500 fois plus d’émanation d’oxyde de soufre que le diesel des véhicules terrestres (à multiplier par le poids du navire). Le fioul allégé est réservé aux navires avec passagers, à 1,5% donc 1500 fois plus d’émanation d’oxyde de soufre que le diesel terrestre.  Si un navire reste plus de deux heures à quai, il doit utiliser le diesel marin à 0,10% de teneur en soufre, soit quand même 100 fois plus d’émanation d’oxyde de soufre que le diesel terrestre.  S’ajoute un cocktail d’oxyde d’azote, de carbone de suie, de monoxyde de carbone et des particules ultrafines de 10 µ, 2,5 µ, 1 µ et inférieures.

Les conséquences sur la santé publique sont lourdes, allant des maux de tête, aux vomissements, à la multiplication des bronchites, aux pathologies cardio-vasculaires et aux cancers pulmonaires. Plusieurs rapports officiels, du Sénat, de l’ANSES, de l’Organisation Mondiale de la Santé, ont été consacrés à ces pathologies et, aussi, à leurs coûts humains et financiers. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 36% des décès par cancer du poumon, 34% de ceux par AVC et 27% par infarctus, résultent de la pollution par les particules ultrafines. Les législations nationale, européenne et internationale en matière de carburants marins demeurent disparates. Des zones maritimes sont protégées, où le diesel marin le moins polluant à 0,1% de teneur en soufre est obligatoire : toutes les côtes des États-Unis, les mers européennes nordiques (Manche, mer du Nord, Baltique), l’Océan glacial antarctique.  Mais la Méditerranée, mer presque fermée et fragilisée, ne bénéficie toujours pas de cette protection, en dépit d’une amélioration prévue le 1er janvier 2020. Sur tous les océans et mers du monde, hormis les zones maritimes déjà au diesel marin à 0,1%, les navires circuleront obligatoirement au fioul à 0,5% maximum de teneur en soufre (500 fois plus polluant que le diesel terrestre).

La fermeté nouvelle de la Justice

La Justice dans son ensemble réagit avec vigueur face à la pollution tant aérienne que maritime. La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a condamné la Bulgarie1 et la Pologne2 et depuis le 17 mai 2018, les instances européennes ont déposé devant la CJUE, un dossier contre la France3. En France, la plus haute juridiction administrative, le Conseil d’Etat, par l’arrêt du 12 juillet 20174, a condamné le Gouvernement pour inaction en matière.

  • COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE, Arrêt du 5 avril 2017, condamnation de la Bulgarie, « Manquement d’État – Environnement – Directive 2008/50/CE – Qualité de l’air ambiant », affaire C488/15

  • COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE, Arrêt du  22 février 2018,  condamnation de la Pologne, « Manquement d’État – Environnement – Directive 2008/50/CE – Qualité de l’air ambiant », affaire C-336/16

  • Stéphane MANDARD, « Pollution de l’air : Bruxelles poursuit la France devant la Justice »,  Le Monde du 17 mai 2018

  • CONSEIL D’ETAT, Arrêt du 12 juillet 2017, Association : Les amis de la Terre, condamnation de l’Etat, affaire 394254

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