Michèle Barbier (Institut de Science et Ethique, Nice : www.sciencethics.org ; Commission Internationale pour l’Exploration Scientifique de la Mer Méditerranée : www.ciesm.org)
Les biotechnologies marines, une source d’économie locale et durable, quels défis pour l’avenir ?
Les océans et les mers représentent 70% de la surface de notre planète et abritent plus de 90% de la biosphère terrestre. Les macro- et micro-organismes marins vivent dans des conditions extrêmes de température, de lumière, de pression et de salinité. Pour assurer leur survie, ils ont dû développer des capacités métaboliques uniques résultant en une gamme de métabolites secondaires avec des activités bien spécifiques. Beaucoup de ces métabolites représentent des produits commerciaux de grande valeur pour l’industrie et leur potentiel en termes de structure, de chimie et de physiologie est exploité par la(es) biotechnologie(s) marine(s). Pour exemple, la trabectédine, un métabolite extrait de l’ascidie Ecteinascuidua turibnata, est un médicament antitumoral commercialisé sous la marque Yondelis®, par PharmaMar, une société espagnole. Ce médicament est approuvé en Europe, en Russie et en Corée du Sud pour le traitement du sarcome avancé des tissus mous.
La biotechnologie marine est une technologie clé qui soutient le développement de la bioéconomie dans le but de fournir de nouveaux produits et services à la société.
C’est un marché émergent : des efforts sont déployés pour exploiter la biodiversité marine en identifiant de nouveaux produits chimiques. À l’heure actuelle, plus de 20 000 produits naturels d’origine marine ont été identifiés, ouvrant de grandes opportunités pour le développement de la biotechnologie marine. Seulement en 2012, 1241 nouveaux composés ont été décrits (Hurst D., et al., 2016). Le marché mondial des produits et procédés biotechnologiques marins est actuellement estimé à 4,8 milliards d’euros (ERA-MBT, 2017). Une grande partie de la recherche en biotechnologie marine est concentrée aux États-Unis, en Asie et en Extrême-Orient. Les pays d’Europe du Nord ont défini les biotechnologies marines comme l’une des priorités nationales. Alors que les points chauds de la biodiversité marine sont situés dans la zone équatoriale, seuls dix pays possèdent 90% des demandes de brevet associées aux gènes marins et, parmi les dix premiers, les trois premiers représentent 70% : États-Unis, Allemagne, Japon (Arnaud-Haond et al., 2011).
Qui détient quoi ?
Comment les Nations-Unies et la Commission Internationale pour l’Exploration Scientifique de la Mer Méditerranée (CIESM) assurent un partage équitable
En raison des questions de propriété intellectuelle non résolues, comme celle de savoir qui possède les ressources génétiques marines et leurs produits chimiques et qui a accès aux données du savoir, de nouvelles recommandations juridiques et politiques ont été élaborées. La Convention sur la diversité biologique (CDB), SEUL instrument international traitant de manière exhaustive de la diversité biologique et du traité international (UNCLOS – Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 1982), met l’accent sur le développement du partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources avec les communautés locales et vise à garantir les pays fournisseurs ou utilisateurs.
Les zones maritimes de l’UNCLOS confèrent la souveraineté sur 200 miles (zone économique exclusive, ZEE) et 350 miles (plateau continental) aux pays adjacents de cette zone.
Le Protocole de Nagoya
Le Protocole de Nagoya (2010) décrit l’engagement de la Convention sur la diversité biologique à sauvegarder la biodiversité pour les générations futures. Il fournit un cadre juridique pour l’accès et l’utilisation des ressources, dans le but d’assurer un partage équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, de promouvoir le transfert de technologie, les profits de la recherche, aux pays fournisseurs-propriétaires des ressources, de renforcer les capacités et de garantir la conservation et une utilisation durable des ressources génétiques. À ce jour, 104 pays sont parties au protocole de Nagoya.
Le Protocole de Nagoya s’applique à la recherche scientifique ou à l’utilisation commerciale des ressources génétiques marines, conformément à l’espace maritime défini par l’UNCLOS.
La Charte CIESM sur le partage équitable
En 2014 et 2015, l’initiative scientifique mondiale, la Journée d’échantillonnage des océans, financée par la Commission européenne dans le cadre du projet MicroB3, visait à étudier la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes dans les eaux marines par la génomique, la science du séquençage des gènes et leur signification. Plus de 150 équipes scientifiques ont participé à cette initiative, dans le monde entier, laquelle a soulevé la question des « Avantages de la recherche pour qui ? ». À l’époque, le Protocole de Nagoya était en discussion et aucune législation n’avait encore été adoptée. Michèle Barbier, membre du projet, a élaboré des recommandations éthiques, via une Charte : la Charte CIESM sur l’accès et le partage des bénéfices issus des ressources génétiques marines.
Cette charte, largement présentée à l’Institut européen de bioinformatique (Cambridge, Royaume-Uni) et lors de nombreuses conférences (Oxford, Royaume-Uni ; Bruxelles, Belgique ; Szeczin, Pologne) permet de mettre l’accent sur le développement d’un partage juste et équitable des bénéfices découlant de l’utilisation des ressources marines avec les communautés locales et de garantir les pays fournisseurs ou usagers.