Thierry Long1, Nathalie Pantaléon1, Rolf Kleerebezen2 et Zakaria Babutsidze3
Université Côte d’Azur- France
1Laboratoire d’Anthropologie et de Psychologie Cliniques, cognitives et Sociales (LAPCOS)
2Master 2 Communication Écocitoyenne, Patrimoines et Développement Durable (COMEDD)
3SKEMA Business School: Economie & Management
1 – Introduction
Cette recherche s’est penchée sur le fossé existant entre les valeurs écologiques avancées par la plupart des citoyens et leurs inactions comportementales à ce sujet. Les études scientifiques avancent différentes explications, individuelles (mécanismes de désengagement moral, difficulté de changer ses habitudes, etc.) et contextuelles (manque de temps, abstraction du changement climatique, prégnance des facteurs économiques…).
Nous avons alors fait l’hypothèse que des personnes touchées de « plein fouet » par une catastrophe naturelle (comme une inondation) pourraient davantage modifier leur mode de vie et s’engager écologiquement. Dans ce court résumé, nous prenons le parti de minimiser les dimensions théoriques et méthodologiques pour davantage développer les résultats de cette étude, ainsi que leurs implications éventuelles.
2 – Méthodologie
Afin de tester l’hypothèse de notre recherche, nous avons conduit des entretiens semi-directifs auprès de 10 personnes ayant vécu une même inondation dans les Alpes Maritimes en 2015. Trois de ces personnes avaient entre 45 et 54 ans ; 3 entre 55 et 64 ans et 4 au-delà de 65 ans. Huit participants sur dix habitaient des quartiers résidentiels limitrophes. Ils présentaient donc des caractéristiques socio-économiques et culturelles proches. Même si l’effectif paraît petit, il est d’une part difficile de trouver des personnes sinistrées acceptant de revenir sur une expérience traumatisante et, d’autre part, il s’est avéré que la saturation empirique est parvenue assez tôt dans les entretiens (plus aucuns nouveaux thèmes ne sont apparus après le 6ème entretien). Le guide d’entretien que nous avons construit amenait les participants à discuter de leurs expériences, de leurs perceptions de la nature et du changement climatique et de leurs propensions à agir écologiquement (ou pas).
3 – Résultats- Discussion
D’après les discours recueillis auprès des dix participants à cette étude ayant vécu l’inondation de 2015 à Biot, nous avons réparti les résultats selon deux tableaux : le premier tableau renvoie aux perceptions de ces participants au sujet des risques naturels, du changement climatique et de leurs causes.
Tableau 1. Perceptions des risques naturels, du changement climatique et de leurs causes.
Thèmes | Sous-thèmes | O[1] | F1 |
Perceptions des risques naturels | Augmentation de la violence et de la soudaineté des catastrophes naturelles
Augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles
Région à risque |
62
40
33 |
8
7
7 |
Perceptions de la relation entre catastrophes naturelles et changement climatique | Croyance en cette relation
Croyance dans le changement climatique
Croyances dans le cycle historique régulier des catastrophes naturelles |
11
41
23 |
7
9
7 |
Perceptions des causes | Urbanisation
Surexploitation de la nature (inconscience collective envers la nature)
Activités humaines (transports, aéroports, industries…)
Consommation |
186
86
37
21 |
9
10
8
7 |
Nous pouvons noter combien la perception des risques est présente dans notre échantillon, en particulier vis-à-vis de notre département. Bien que de nombreux participants à cette étude fassent valoir l’aspect cyclique et historique des catastrophes naturelles, celles-ci paraissent s’accélérer en fréquence et en violence à leurs yeux. Les causes en sont clairement la nature des activités humaines, en particulier une urbanisation galopante qui empêche l’infiltration naturelle des eaux dans la terre. La surexploitation générale de la nature dont on fait fi pour des raisons économiques marque une réelle inconscience, voire la folie, dans l’esprit des personnes interrogées. Les extraits d’entretien sont très explicites à ce sujet : « Ils construisent de partout sans calculer » ; « Les humains envahissent tout. Ils en veulent trop pour de l’argent » ; « Les gens passent leur week-end dans les centres commerciaux. Ils ne consomment pas forcément mais c’est la sortie des enfants. Il n’est jamais trop tôt pour les conditionner : McDo pour le déjeuner et voilà ! » ; « Nous ne pensons plus ni aux hommes, ni à la nature ».
Ce fatalisme dû au système se retrouve dans leur discours au sujet de leurs difficultés à agir écologiquement, comme spécifié dans le tableau suivant.
Tableau 2. Propension à agir (ou pas) de manière écologique.
Thèmes | Sous-thèmes | O | F |
Perceptions des freins | Impuissance et inertie politique
Enjeux économiques
Impuissance individuelle (fatalisme, diffusion de responsabilité, sentiment d’injustice…)
Enjeux généraux de la vie moderne (manqué de temps, “chimères”, distractions…) |
240
196
146
53 |
10
10
10
9 |
Perceptions des déclencheurs | Education / transmission
Engagement collectif du village
La santé
La conscience individuelle |
68
39
34
25 |
9
7
8
6 |
Effet de l’inondation sur la propension à agir | Absolument aucun effet | 29 | 10 |
A travers ce tableau, nous voyons combien les contraintes (politiques et économiques en particulier) sont des freins à la transition écologique. Ces tenailles semblent tellement fortes dans le discours des personnes interrogées qu’elles en deviennent fatalistes et impuissantes. Certains extraits d’entretien sont là aussi très illustratifs à ce sujet : « c’est le piège du système : il y a beaucoup de choses qui nous parasitent mais dont nous devenons dépendants malgré nous » ; « vous avez l’impression que nos politiques ont une pierre à la place du cœur » ; « un ami est allé voir le maire pour lui demander d’agir de manière écologique, en lui proposant des actions concrètes. Le maire lui a répondu : si je fais ça, je ne suis pas réélu ».
Parallèlement à cela, les participants à cette recherche soulignent des déclencheurs très intéressants en termes d’engagement écologique : l’éducation, les prises de conscience collectives et individuelles (l’influence sociale étant très puissante à ce sujet) et la santé.
4 – Implications pratiques
L’ensemble de ces résultats marquent la responsabilité grandissante des pouvoirs publics dans le changement climatique et dans la nécessité d’agir. Les actions ne doivent plus être de simples modifications à la marge de la dynamique actuelle de notre société mais, au contraire, un renversement complet de notre mode de vie. Comme le souligne un des participants, « si nous devons agir, nous devons traiter tous les domaines de la vie ; et non quelques détails ». Parmi ces domaines, il en est un qui ressort particulièrement des discours des participants : celui de la transmission et de l’éducation. Si elle incombe partiellement à l’entourage des jeunes, elle incombe également globalement à la nation, voire au monde. Tant que nous ne passerons pas d’une éducation nationale qui dresse de futurs « robots-consommateurs » en une éducation réflexive et humaniste qui éveille les jeunes à leur nature et à la nature, la transition écologique ne devra compter que sur des ressorts individuels qui ont bien du mal à se détendre depuis cette glue politique, économique et sociale.
[1] « O » renvoie aux occurrences -à savoir au nombre de fois que le sous-thème est cité dans les entretiens- et « F » à la fréquence –à savoir au nombre de participants ayant évoqué ce sous-thème sur 10 participants au total.