Évolution et professionnalisation de l’écoconstruction en France et en région SUD PACA.

Richard Lacortiglia (Association le Gabion)

Cette présentation va porter sur l’évolution de l’écoconstruction et la professionnalisation de cette approche en France et en région SUD PACA. Elle abordera les perspectives de développement de cette filière professionnelle et les freins à cette approche, en espérant que les objectifs de la réglementation écologique 2020 seront maintenus, et que les moyens de l’appliquer seront donnés aux entreprises. En complément, cette présentation mettra en avant la nécessité d’une politique impliquant concrètement les occupants dans les travaux et les mesures d’économies d’énergie de leur logement. L’approche technique et réglementaire actuelle est nécessaire mais elle ne parvient pas à traiter avec l’ampleur nécessaire la rénovation thermique du bâti existant.

Mon nom est Richard Lacortiglia. Toute ma vie a été consacrée avec mon épouse au social et au bâtiment. Nous avons créé il y a 25 ans cette année, l’association le Gabion, à Embrun dans les Hautes Alpes, qui gère un chantier d’insertion avec 17 salariés en contrats aidés et un centre de formation. Le Gabion est spécialisé en restauration du patrimoine et en écoconstruction ( http://gabionorg.free.fr/ ). Je vais résumer notre activité car c’est à partir de cette expérience de chantier décalée que je me fonde pour développer les propos qui vont suivre.

Dans le cadre du chantier d’insertion, nous avons beaucoup travaillé à la restauration de l’abbaye de Boscodon (Crots, Hautes-Alpes), pour laquelle nous avons réalisé les menuiseries, et à de nombreux chantiers patrimoniaux en maçonnerie pierre, enduits chaux, en charpente, en couverture ardoise, etc.. Il y a une très grande proximité entre le bâti ancien et l’écoconstruction et très naturellement avec nos formateurs et encadrants nous sommes allés vers ce que nous appelions la construction en matériaux naturels, c’est-à-dire utilisant des matériaux fournis par notre environnement depuis toujours : le mélèze de pays, la pierre, l’ardoise, le plâtre, la chaux, la paille, la terre. Nous nous sommes beaucoup intéressés à la construction en terre, briques et enduits, et nous avons été l’un des acteurs majeurs du développement (encore très modeste) de la construction « paille» en France.

Avec nos salariés, qui ne sont pas du bâtiment, nous avons construit pour notre association un bâtiment de 600m² (200m² sur 3 niveaux). Nous avons construit ce bâtiment expérimental en totalité par nous-mêmes avec principalement des matériaux de notre environnement immédiat : terre du site, paille des environs, pierres de la Durance qui coule à 50 m, mélèzes de la scierie pour l’ossature, la charpente, les planchers et une majorité des meubles.

Le bâtiment expérimental de l’Association Le Gabion, à Embrun

Ce bâtiment consomme environ 400€ de pellets par an pour le chauffage malgré une implantation dans un lieu particulièrement froid et masqué toute la matinée en hiver.

Dans le domaine de la formation nous avons organisé des formations courtes sur ces techniques pour les professionnels et les auto-constructeurs. Depuis 15 ans nous assurons, dans le cadre du Programme Régional de Formation, une formation diplômante « Ouvrier Professionnel en Restauration du Patrimoine » de 9 mois. Depuis 5 ans nous avons créé une autre formation diplômante sur le même modèle « Ouvrier Professionnel en Eco-Construction ». Nous accueillons environ 50 stagiaires par an sur ces deux formations. Ce sont des adultes en reconversion professionnelle, ayant souvent un niveau d’études élevé, qui ont pour projet de créer leur entreprise.

La prise de conscience sur les problèmes engendrés par notre manière de construire a commencé avec le choc pétrolier de 1973 qui a vu le prix du pétrole multiplié par 4. En 1974 une première réglementation thermique est créée. Cela a conduit, pour des raisons économiques et non écologiques, à introduire le double vitrage et une isolation de 10 cm dans les murs et de 20 cm en toiture et permis le recours au chauffage électrique. Les Réglementations Thermiques successives ont conduit à une réduction par trois de l’exigence réglementaire pour le bâtiment neuf et il faut s’en féliciter. La réduction de la consommation d’énergie conduit à une réduction de rejets de CO² et autres gaz à effet de serre. Ainsi, progressivement, les objectifs environnementaux se sont agrégés aux objectifs énergétiques, notamment avec le Grenelle de l’environnement. Mais l’approche est restée très technique et réglementaire. D’autres sujets sont apparus comme les problèmes de santé dans l’habitat avec l’amiante et les Composés Organiques Volatils (COV).

Dans ce contexte, l’écoconstruction a été portée par les auto-constructeurs, des non professionnels. Ils ont cherché des solutions qui répondaient à leurs aspirations écologiques, de santé et d’économie, souvent sans mesurer pleinement l’ampleur de leur projet. Ils se sont tournés largement vers la construction à ossature bois, l’isolation en paille ou en chanvre, les enduits en terre ou chaux. Cela a été possible grâce à la loi française sur les permis de construire qui n’impose pas une étude de structure par un bureau d’étude, ce qu’ils auraient eu du mal à justifier. Nous avons fait une étude exhaustive en 2010 sur les constructions « paille » en région PACA. Nous avons trouvé 112 réalisations et en recoupant avec les autres informations du Réseau Français de la Construction Paille nous avons estimé qu’il devait y avoir en France entre 2500 et 3000 réalisations.

Cartographie des constructions « paille » en région PACA (2010). Étude réalisée par l’Association Le Gabion.

Curieusement à la même période il n’y avait que 300 maisons paille en Allemagne alors qu’ils étaient très en avance dans les travaux de recherche. La répartition des réalisations au sein de la région PACA est aussi très instructive. Les Hautes Alpes ont 40 fois plus de constructions paille par habitant que les Alpes-Maritimes et 180 fois plus que les Bouches du Rhône !! Il y a certainement de nombreuses explications d’ordre technique, climatique et culturel, et je ne m’aventurerai pas à les chercher. Par contre il serait intéressant d’actualiser ces chiffres pour vérifier les évolutions.

Depuis 2010, nous assistons à une professionnalisation de la construction paille notamment avec de grands projets. Cela a été possible grâce à la validation des règles professionnelles de la construction paille rédigées par des membres du Réseau Français de la Construction Paille et par l’essai au feu réalisé par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) financé par la région PACA et le bureau d’étude structure bois Gaujard Technologies basé à Avignon. Des réalisations importantes ont été conduites comme l’isolation phonique d’une partie de la friche de la Belle de Mai à Marseille, la salle polyvalente de Mazan (Vaucluse, 1,2 million d’euros), des écoles à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine ; respectivement 14 et 17 millions d’euros), etc. Mais à l’échelle du secteur de la construction en France cela reste anecdotique.

Un travail comparable se termine dans le domaine de la construction terre avec la publication prochaine des règles de bonnes pratiques. Dans ce domaine aussi des évolutions techniques sont importantes. Certaines entreprises ont mis en place des processus pour réaliser des grands projets ; En Autriche une usine produit des murs porteurs en pisé. En France certains essais de terre coulée comme du béton de ciment semblent prometteurs.

L’approche purement technique et énergétique prime sur une approche écologique. J’ai été amusé de voir sur internet le Guide des formations à l’éco-construction (au niveau master : https://www.orientation-environnement.fr/formations-diplomantes-ecoconstruction/ ).  Pratiquement toutes proposent uniquement des formations sur l’énergie.

Pour ceux qui veulent avoir une approche écologique limitant au maximum les prélèvements de matériaux non renouvelables ou aisément recyclables sur la planète, la réglementation énergétique 2020 qui devrait succéder à la réglementation thermique 2012 donne un peu d’espoir. Les bilans CO² sur le cycle de vie vont normalement favoriser le bois, la terre, les fibres végétales par rapport aux matériaux à forte énergie grise. Mais 2020 c’est demain et les entreprises ne sont pas préparées et ignorent pour la plupart ce qui devrait s’appliquer. Il est nécessaire de lancer une information nationale sur cette évolution sinon elle sera inapplicable.

Pour le bâti existant, la rénovation thermique ne décolle pas. L’approche purement technique et économique ne répond pas à ce problème majeur. Tout est mis en œuvre, avec sans doute la volonté de créer des emplois, pour présenter la rénovation thermique comme une question réservée aux professionnels. Les aides y sont assujetties et un auto-constructeur qui veut isoler sa maison ne bénéficie d’aucune aide même pour l’achat des matériaux. La politique actuelle doit être complétée par une mobilisation de tous. Si l’objectif de réduction forte des gaz à effet de serre est réellement l’un des objectifs poursuivis, nous pouvons tous agir sur notre habitat ancien : mettre des joints aux fenêtres, réaliser des survitrages dans certains cas au lieu de changer toutes les menuiseries, veiller à supprimer les courants d’air.

L’approche actuelle cherche à atteindre dans tous les travaux envisagés des performances maximum pour ne pas tuer le gisement, mais il en résulte des coûts prohibitifs pour la majorité des personnes. Une autre approche pourrait consister à concentrer tous les efforts sur une petite partie de l’habitat, la pièce à vivre, en veillant aussi à son confort. Il est important d’offrir une palette plus large de solutions que le tout ou rien actuel pour permettre à la rénovation thermique de l’existant de prendre un réel essor. Enfin, la consommation de biens et d’énergie dépend beaucoup de notre manière de vivre. La consommation d’énergie peut varier du simple au double suivant notre comportement. C’est donc à nous d’agir.

Quelques sites internet :

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